Le billet de nos experts

Pour ce premier billet de blog, les experts de Tecurbis ont choisi de se pencher sur la question des impacts de la crise sanitaire sur le monde de la mobilité (usagers mais aussi AOM et opérateurs).

Les impacts de la crise sanitaire sur les pratiques de mobilité

Des impacts significatifs en période de crise suite aux restrictions de déplacements

La crise sanitaire que connaît le monde depuis plus d’un an désormais a eu un impact significatif sur les pratiques de mobilité des Français. Pour lutter contre les vagues épidémiques successives, les autorités françaises, tout comme dans de nombreux autres pays, ont imposé des restrictions de sortie à la population. Ces restrictions, sous plusieurs formes (confinement, couvre-feu, limitations de distance à vol d’oiseau), ont entraîné des périodes de « démobilité » massive en raison notamment de la généralisation du télétravail pour les actifs et des restrictions de déplacements pour motifs de loisirs. Une analyse de la mobilité des Français réalisée par e.Voyageurs SNCF démontre par exemple que le nombre de trajets en France a diminué de plus de 90% lors du premier confinement en mars 2020 par rapport à l’avant-crise, ainsi qu’une baisse de la distance moyenne effectuée par trajet. Sous la contrainte, les Français ont donc massivement restreint leurs déplacements quotidiens durant la crise de la COVID-19.

Courbes d’évolution de l’usage de la voiture et de la marche au fil de la crise COVID – Crédits Tecurbis 2021 – Données Apple Maps

Vers un bouleversement majeur et durable de la mobilité des Français?

Si les restrictions de déplacements n’ont concerné que des périodes limitées dans le temps, certaines mesures gouvernementales mises en place ont eu des effets durables sur les pratiques de mobilité des Français. La généralisation du télétravail en est l’une des illustrations, puisqu’une part importante des salariés y reste soumise. Selon une enquête Ifop/Jean-Jaurès, le premier confinement a impliqué la mise en place du télétravail pour 30% des salariés, contre 34% sur site et 36% en arrêt (dont chômage partiel et chômage). A long terme, le télétravail s’inscrira-t-il comme une norme là où il faisait figure d’exception?

Si le télétravail à 100% ne sera très vraisemblablement pas maintenu, il pourrait cependant s’étendre via « deux ou trois jours par semaine » et bouleverser les habitudes professionnelles, notamment de certaines activités tertiaires. A tout le moins, il est vraisemblable que dans les mois, voire les années à venir, les migrations domicile-travail, ne soient plus aussi régulières qu’avant.

Rue Sainte-Catherine vide

Rue Sainte-Catherine vide à Bordeaux – Crédits Tecurbis 2020

Des changements de pratiques durables?

La tendance à la hausse du télétravail, ne concerne pas l’ensemble des Français (une étude de l’ADEME estime à 35% les postes de travail compatibles et selon un sondage, 40% des Français s’estiment concernés et intéressés par le télétravail). Pour les travailleurs dits de première et seconde ligne, cette possibilité n’existe que rarement. Pour eux la crise sanitaire a été l’occasion de changer leurs habitudes de déplacement quotidien, notamment en raison de la crainte d’utiliser les transports en commun face aux risques de contamination, comme le révèle une enquête menée par l’IFOP pour l’UTP où « 30% des usagers disent vouloir renoncer durablement aux transports en commun ».

Alors que les préoccupations environnementales sont de plus en plus prégnantes et les craintes des Français plus importantes, les usages s’en sont trouvés bouleversés au quotidien. Pour autant, afin d’éviter un report massif vers l’usage de la voiture individuelle pour les déplacements domicile-travail, les autorités publiques ont massivement agi en faveur de la pratique des mobilités actives, avec notamment la mise en place de « coronapistes », des aménagements cyclables et bus temporaires créés pour encourager à la pratique des modes actifs et pour dissuader de l’usage de la voiture, en particulier en milieu urbain.

Au sein de la métropole bordelaise, une étude IFOP a révélé que « 22% des navetteurs […] ont modifié leurs habitudes en lien avec la COVID-19 », et « la moitié souhaitent (les) pérenniser » au profit des mobilités douces (vélo, trottinette, marche à pied) et des transports en commun. Une tendance se confirmant dans toutes les grandes villes, comme en atteste également l’étude de l’Apur sur les impacts de la crise dans le Grand Paris, précisant que « les mobilités et les usages transitoires qui se mettent en place […] pourraient dès lors préfigurer les transports et la rue de demain ».

Pour autant, tout comme le télétravail ne concerne qu’une partie des actifs, ces mesures n’apportent aucune réponse aux déplacements, de plus en plus nombreux et de plus en plus longs, des communes périurbaines, vers les centres urbains ou les pôles d’emplois périphériques des grandes agglomérations.

Velo au coucher de soleil

Vélo sur le Pont-de-Pierre de Bordeaux – Crédits Tecurbis 2020

Collectivités, clients et opérateurs de la mobilité, tous touchés par cette crise

Depuis le printemps 2020, la crise sanitaire amène les collectivités territoriales à faire face à de nombreux nouveaux défis. Il s’agit à la fois de gérer des enjeux internes (prévention et sécurité au travail, mesures statutaires, absences d’agents publics, finances, etc.) mais aussi évidemment des enjeux liés aux politiques publiques de la collectivité (et en ce qui nous concerne ici : la stratégie de mobilité).

Une crise qui demande des adaptations dans les services des collectivités

Les services des collectivités, et notamment ceux en lien avec les problématiques de mobilité sont habitués à la gestion de crise (plans de gestion de crise, plan de communication de crise, etc.). La pandémie de COVID-19 a pour particularité de toucher également fortement la vie interne des collectivités (absentéisme, garde d’enfants, difficulté d’accès au lieu de travail, …). Le télétravail, souvent déjà en déploiement partiel dans de nombreuses collectivités, est devenu depuis un peu plus d’un an là aussi la norme, venant bouleverser les habitudes et pratiques professionnelles (rencontres avec les opérateurs, opérations de promotion de la mobilité, visite sur site, travaux de voirie, etc.).

L’AATF ( Association des administrateurs territoriaux de France) ou l’AFIGESE (Association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales) dans un retour d’expérience sur la crise COVID, évoquent à la fois les réussites mais aussi les difficultés rencontrés par les équipes au sein des collectivités territoriales. En premier lieu, la difficile coordination entre les différentes strates de l’Etat et les collectivités territoriales doit amener à poser certains enjeux dans la suite du procession de décentralisation. A l’inverse le dialogue entre collectivités et acteurs du monde civil s’est souvent largement accéléré au cours de la gestion de crise.

Au-delà de leur rôle de Maitre d’Ouvrage, les collectivités doivent également mener le chantier de leur propre réorganisation quant aux déplacements professionnels des agents.

Comment analyser les données de mobilité 2020 et 2021?
L’incertitude statistique va devenir un autre effet de la crise sanitaire qui va impacter le travail des collectivités (et de leurs AMO). En effet, le suivi statistique des données techniques et financières (fréquentation, vitesse commerciale, HLP, recettes, charges, …) est rendu extrêmement complexe par la crise sanitaire et ses impacts sur la mobilité.
Les indicateurs très souvent calés sur des analyses entre année N et année N-1 vont se retrouver très difficilement utilisables et par conséquent l’analyse des rapports annuels pour le moins acrobatique.
Les modélisations et les projections de recettes et de fréquentation sont également sur la brèche et ce ne sont plus 2 ou 3 scénarios qu’il faudra envisager mais peut-être 4 ou 5 en fonction des évolutions dans les tendances des pratiques de mobilités (voire même le prolongement possible de la crise sanitaire ou sa reproduction).
L’impact financier de la crise sur les ressources des collectivités

Suite au premier confinement, le transport public urbain accusait trois milliards d’euros de pertes (recettes commerciales et versement mobilité) d’après l’UTP. 

En effet, la baisse du trafic, a entraîné une diminution des recettes commerciales enregistrées par les réseaux de transport : effondrement des ventes de titres à décompte, remboursement des abonnements, mise en place de gratuités totales ou partielles transitoires.

Tandis que le ralentissement économique national, causé par la crise sanitaire, influe pour sa part sur le niveau d’activité des entreprises, l’emploi et donc la masse salariale qui constitue l’assiette du versement mobilité. La première source de financement du monde du transport urbain de voyageur se retrouve donc sous pression.

La baisse du versement mobilité en 2020 était d’environ 4% à l’échelle nationale pendant que les recettes tarifaires chutaient de plus de 30%.

Pour compenser ces pertes, 450 millions d’euros pour les pertes de recettes fiscales ont été prévus par la 3ème loi de finance et 750 millions d’euros d’avance remboursable pour les pertes fiscales par le 4ème projet de loi de finance. Le GART souligne toutefois que les mécanismes prévus ne permettent que très partiellement de rattraper les pertes en dispersant la mobilité parmi l’ensemble des ressources fiscales.

Paradoxalement cette situation conduit aujourd’hui de nombreuses collectivités à s’interroger sur la mise en place de gratuité totale ou partielle, ce qui conduira sans doute à terme à s’interroger en profondeur sur les modèles de financement et de tarification des transports collectifs.

Monaie

Illustration financement – Photo libre de droits

Des opérateurs de la mobilité fortement touchés

Pour les acteurs privés et opérateurs de la mobilité, les périodes de confinements, couvre-feu voire et le ralentissement global de l’activité économique, entraînent donc une baisse de la fréquentation et de l’usage de leurs services.  Les transports occasionnels (périscolaires) ont également disparu depuis plus d’un an privant ainsi bon nombre d’exploitants interurbains ou scolaires de revenus complémentaires non-négligeables qui ont pu être ressentis par les AOM du recentrage opéré par ces acteurs sur les services mis en œuvre par ces dernières.

Au-delà, du premier confinement très strict où la fréquentation des services de mobilité a baissé de manière généralisée dans des proportions très importantes ; les situations sont beaucoup plus contrastées sur la fin de l’année 2020, où les réseaux des grandes métropoles ont proportionnellement connu des baisses plus importantes, que les réseaux de villes plus petites, où la clientèle est encore largement composée d’usagers captifs.

Pour les autres opérateurs de la mobilité (covoiturage, autopartage, etc.), la forte diminution des déplacements pour motif de loisir et tourisme fragilise leur équilibre économique et de nombreuses initiatives mises en place ont du mal à trouver leur public dans cette période.   

Concernant les opérateurs, les effets combinés de la perte de recettes (baisses de fréquentation et mesures de gratuité par exemple), des adaptations de l’offre à la baisse et des dépenses nouvelles liées aux mesures sanitaires seulement partiellement compensées par les mesures de soutien mises en place par le gouvernement ont généré des déséquilibres économiques importants dans les contrats les liant aux Autorités Organisatrices de Transports. Cette situation exceptionnelle et inédite a conduit à l’ouverture de nombreuses négociations pour l’obtention de compensations financières dans un contexte où les collectivités se trouvaient elles-mêmes en proie à la résolution d’une équation financière insoluble résultant de la baisse des ressources et des dépenses complémentaires de soutien au territoire et à l’activité.

Les options envisagées pour la modulation de l'offre et l'avenir de la mobilité

Adaptation des services et normes à bord dans le transport public

Les actions mises en place par les opérateurs de transport public (en lien avec les AOM) visent à assurer la continuité de service tout en renforçant les mesures d’hygiène. Les actions sont transversales : hygiène à bord, gel hydroalcoolique, communication voyageur et cloisonnement à bord, etc. Ces nouvelles mesures, qui sont finalement soit une accélération du développement de certains projets, soit la modification de certains process, entrainent des conséquences tant du point de vue de la gestion du parc de véhicules, que de la logistique ou des moyens humains.

Elles ont globalement conduit à un alourdissement des charges de fonctionnement des réseaux de transport.

Les différentes options de modulation de l'offre par les collectivités et opérateurs de mobilité

Toutes les AOM ont revu leur offre au gré des différents confinements et couvres feux, d’une réduction drastique des fréquences au printemps 2020, à des mesures portant sur les amplitudes lors de la généralisation du couvre-feu à 19h.

Les orientations prises par les différentes AOM sont cependant très variables et dépendent beaucoup de la taille des réseaux.

Dans la Vallée de Chamonix, les restrictions de déplacement touchent à la fois les résidents mais aussi les touristes. Plusieurs lignes de transport ont été supprimées et la fréquence des autres lignes diminuées.

Ile-de-France Mobilités pour sa part réduit les fréquences en période creuse, mais maintient (globalement) son offre en période de pointe.

La SNCF module également régulièrement son offre au fur et à mesure des annonces gouvernementales et des remontées de réservations. Globalement l’offre est d’environ 50% par rapport à la situation d’avant crise.

Arrêt de bus vide – Photo libre de droits

L'exemple des gestionnaires de flottes de véhicules

Les gestionnaires de flottes de véhicules sont assez partagés quant à l’avenir. Certains de ces gestionnaires tendent vers une réduction de leur parc de véhicules, quant à l’inverse les autres, apparemment majoritaires, envisagent d’agrandir leur flotte pour répondre à de nouveaux besoins (issus en partie de la crise) et notamment l’élargissement des droits à un véhicule de fonction au sein des entreprises. 

Le mot de la fin

La mobilité était (avant crise sanitaire) et reste un sujet de préoccupation majeure des élus et des citoyens. Les enseignements majeurs que nous pouvons en tirer sont divers. Tout d’abord, la forte capacité d’adaptation et de résilience des Français, des AOM et des opérateurs qui tout au long des mois se sont adaptés très rapidement. La difficulté à dresser un constat et évidemment à apporter des réponses « génériques » pour tous les territoires. La nécessité de mieux prendre en compte l’imprévu dans les contrats de mobilité.

Certaines tendances et orientations pré-crises semblent encore largement d’actualité pour le futur :

– La « régionalisation » du tourisme et la baisse ou du moins l’inflexion de la croissance du transport aérien;

– L’appétence pour les modes actifs sur tous les territoires (urbains comme ruraux);

– La question de la gestion des livraisons et du dernier km avec la très large généralisation du e-commerce.

Sans doute une légère incidence sur les flux migratoires au profit des zones rurales au sens large et au détriment des grands centres urbains denses (mais pour ceux qui peuvent) continuant à allonger la distance moyenne parcourue par jour et par personne

D’autres enjeux nous paraissent plus fortement corrélés à la crise sanitaire et son impact sur les comportements :

– Une nouvelle interrogation sur le financement de la mobilité;

– La possible désaturation des transports en commun dans les hypercentres (baisse de la mobilité, transfert vers les modes actifs, émigration vers le périurbain et le rural).

Pour l’heure, globalement entre les délais induits par les contrats de mobilité, le temps politique et les incertitudes sur les modifications profondes ou non des pratiques des usagers, peu de grands changements sont évoqués par les AOM (au-delà des projets déjà engagés). Mais cette tendance va-t-elle se poursuivre ?

A suivre dans le prochain billet de blog, un bilan des expérimentations menées par les collectivités pendant et suite à la crise.

Pour aller plus loin
Rédacteurs et contributeurs

Vincent PUYAL

Consultant junior

Arthur VIGNACQ

Consultant sénior

Patrice PERROGON

Directeur

Catégories : Blog