Le billet de nos experts

Alors que le couvre-feu vient d’être levé par le gouvernement et que les restrictions et les jauges deviennent de moins en moins contraignantes, la France retrouve peu à peu les habitudes du « monde d’avant ». Mais la crise sanitaire du Covid-19 a durablement modifié les pratiques mais également renforcé les inégalités économiques, sociales et territoriales.

Par ailleurs le précédant billet de blog en faisait l’écho : la crise du Covid-19 a bouleversé les habitudes de travail et de mobilité. Elle a aussi été le lieu d’innovations et d’expérimentations sur l’espace public.

L’impact sociétal de la crise sanitaire et ses effets sur la mobilité

Une crise globale inédite…

La déflagration causée par la crise Covid depuis mars 2020 n’en finit pas de produire ses effets ! Après un impact mondial, aussi soudain que destructeur d’un point de vue sanitaire, cette crise a révélé d’autres effets plus pernicieux à long terme sur les populations, en raison de conséquences induites des différentes mesures de protection d’urgence prises par les autorités.

En France, les mesures de restrictions partielles et les nombreux confinements imposés depuis le début de la crise sanitaire (54 jours lors du premier, 28 jours fin 2020, 29 jours en avril/mai 2021) ont durablement impacté la vie de la population. Les conséquences sur le renforcement des inégalités ont été reconnues, d’un point de vue économique (destruction d’emploi, chômage partiel, difficultés d’accès à l’emploi des plus jeunes,…), social (difficulté d’accès aux soins du quotidien, conséquences psychologiques renforcées chez les plus fragiles, augmentation de l’écart des conditions de vie selon la catégorie socioprofessionnelle,…) et territorial (fort impact sur les territoires historiquement touristiques – activités de montagne, facteurs cumulatifs socio-économiques, mutations comportementales importantes au sein des principales aires métropolitaines VS impact plus limité dans certaines zones rurales isolées,…).

Gare Saint-Jean vide

Gare Saint-Jean à Bordeaux déserte – Crédits Tecurbis 2020

…Qui a immédiatement frappé les logiques de mobilité établies

La crise sanitaire a également amené à considérer sous un angle complètement nouveau la question de la mobilité tant les effets sur les logiques de flux ont été massifs et immédiats.  

De prime abord, la cloche du premier confinement en mars 2020 a mis un coup d’arrêt brutal à la mobilité des Français, avec un impact d’autant plus fort pour le transport public qu’il pâtissait d’une image négative dans un contexte de distanciation physique.  

C’est d’ailleurs ce principal fait qui a été à l’origine d’importants reports modaux en 2020 – début 2021, une partie majoritaire des usagers des TC urbains continuant à se déplacer s’étant reporté sur les modes actifs ou les véhicules individuels sur cette période (principalement en zone urbaine). 

Néanmoins, les premiers effets de sortie de crise montrent un niveau de trafic voiture rapidement remonté à des niveaux antérieurs et des prévisions de retour des usagers dans les TC beaucoup plus rapides que prévu dans les grandes agglomérations. 

L’essor du télétravail a également induit de nouvelles pratiques sur les mobilités du quotidien, avec une baisse des flux pendulaires classiques (à confirmer au vu des récents constats) et une augmentation de la mobilité de très courte distance davantage lissée sur la journée (écrêtement de la pointe, mobilité d’opportunité,…). 

Ainsi, si les effets de la crise sanitaire sur les déplacements de la population ont été conjoncturellement déterminants au cours des derniers mois, il semblerait d’un côté que certaines habitudes soient en train de se réintroduire dans le quotidien des territoires (congestions routières en heure de pointe, fort trafic au sein des infrastructures de transport), et d’un autre côté que de nombreux Français se soient saisis de la situation pour modifier durablement leurs pratiques (exemple de la multiplication des « cyclotafeurs », place des vélos dans les rames de transport, question de la pérennisation totale ou partielle du télétravail). Il est donc opportun de s’interroger sur les évolutions prochaines des pratiques modales et sur leur analyse, afin de mesurer à quel niveau se situe l’impact de la crise Covid, et ainsi apporter les réponses territoriales adaptées. 

Par ailleurs, cette crise a eu pour effet de révéler que la mobilité dans son ensemble ne doit et ne peut plus être globalement reproductible d’un territoire à un autre, et que l’adaptation aux spécificités locales devient la meilleure réponse à lui apporter. 

Aussi les expérimentations engagées dès le printemps 2020 ont permis aux territoires de proposer des réponses face à la crise, sur lesquelles nous revenons et qui sont autant de sujets d’analyse passionnants pour les décideurs et les aménageurs. 

Quelles expérimentations pour faire face à la crise ?

L’espace public s’est vu l’objet de plusieurs expérimentations au premier rang desquelles la création de pistes cyclables temporaires, rapidement médiatisées « coronapistes ». Matérialisation de file d’attente devant les magasins, installation de chapiteau pour les tests devant les pharmacies, création de terrasses éphémères devant les bars-restaurants pour compenser le manque à gagner induit par les règles de distanciation physique, piétonisation temporaire de certaines rues,…

Autant d’expérimentations menées dans l’urgence pour répondre à la crise.  

Les « coronapistes »: l’emblème des expérimentations post-confinement

A la sortie du premier confinement en mai 2020, l’Etat incite les collectivités de mettre en place, dans l’urgence, des actions favorisant la distanciation physique, via notamment une déclaration du 30 avril 2020 dans laquelle le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire permet « la mise en place d’installations temporaires telles que des pistes cyclables temporaires et des aménagements piétons temporaires [sans] autorisations préalables, notamment des Architectes des Bâtiments de France ». Cette incitation s’inscrit dans un contexte mondial de déploiement d’aménagements temporaires pour faciliter la distanciation physique et les mobilités actives : Bogota (Colombie) a lancé le mouvement en créant 76km de pistes cyclables (par la fermeture de rues aux voitures entre 6h et 19h30) dès mars 2020, et a été suivi par de nombreuses autres métropoles comme New-York, où le trafic du vélo a augmenté de 50% à la sortie du confinement. 

Alors que certaines collectivités s’étaient déjà engagées dans des réflexions stratégiques, cette annonce marque une simplification réglementaire et permet en quelques semaines la création d’environ 1 000 km de pistes cyclables temporaires, révélant un véritable engouement pour cette manière de « faire la ville », répondant certes à une situation d’urgence mais in fine facile, peu couteuse et expérimentale. Dans de nombreux territoires, la création rapide de ces « coronapistes » s’ancre ainsi dans un politique vélo pensée en amont – le fort retentissement médiatique de ces expérimentations donnant aux collectivités l’impulsion nécessaire pour l’engagement vers la réalisation plus pérenne de politiques cyclables – quand d’autres s’inscrivent davantage dans une certaine précipitation, parfois dénuée à dessein de toute concertation. 

Coronapiste-Lyon

Coronapiste aménagée sur le Pont de la Guillotière à Lyon – Crédits Tecurbis 2021

Des expérimentations aux motivations variées

La création de pistes cyclables, la piétonisation de rues ou encore la réalisation d’autres expérimentations sur l’espace public sont le fruit de motivations variées. Si la principale raison est bien évidemment de répondre, dans l’urgence, à un nouveau besoin immédiat – celui de la distanciation physique – et de faire face aux reports modaux, plusieurs collectivités ont su tirer profit du contexte pour accélérer certaines mutations urbaines et favoriser les mobilités actives.

De même, alors que le déconfinement a coïncidé avec les élections municipales (dont le second tour a été reporté en juin 2020), les expérimentations en particulier et la nouvelle place de l’écomobilité en général ont su trouver un écho particulier auprès de certaines catégories de la population, davantage convaincues par la capacité à modifier leurs pratiques modales qu’elles en furent contraintes dès mars, induisant sans doute un renforcement de la couleur politique de certaines collectivités, avec l’avènement des Ecologistes dans un certain nombre de métropoles.

Enfin, cette nouvelle manière de faire la ville, qualifiée d’urbanisme tactique, en a conquis plus d’un du fait de la souplesse de mise en œuvre, du coût de réalisation moindre et des procédures simplifiées permettant une concertation in situ.

Expérimentations et contexte urbain : un fait citadin ?

Ces aménagements expérimentaux ont surtout été développés en milieu urbain, aussi bien dans les métropoles que dans les villes moyennes. Au contraire, les territoires ruraux semblent moins enclins à développer ces innovations. En effet, d’une part l’enjeu de la distanciation physique, auquel les expérimentations tentent d’apporter une réponse, n’a pas la même résonnance dans les territoires ruraux où la promiscuité est moindre ; d’autre part, ces expérimentations, bien que souples et peu couteuses, nécessitent tout de même une ingénierie et un budget que les collectivités rurales n’ont pas forcément, quand les problématiques de gestion d’infrastructure viennent complexifier la mise en œuvre de potentiels aménagements. 

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D’une logique d’expérimentation à des principes d’aménagement pérennes

Des expérimentations amenées à perdurer ?

Après la multiplication d’axes cyclables temporaires, s’est posée la question de leur pérennisation ou leur suppression, certaines initiatives rapidement déployées induisant des effets de bord à la reprise de l’activité (secteurs accidentogènes, congestion,…).  

Le Club des Villes et Territoires Cyclables a ainsi réalisé un « suivi qualitatif de la dynamique des aménagements cyclables et piétons de transition en France » en plusieurs étapes, afin d’avoir une vision dans la durée, de la conservation ou de la suppression des expérimentations temporaires. Résultat, 87% des collectivités interrogées dans le cadre de cette étude prévoient de rendre durable les « coronapistes », révélant s’il en est la capacité des territoires au changement. 

In fine qu’ils soient supprimés, modifiés ou conservés, ces aménagements temporaires auront eu le mérite d’interroger la place du vélo dans l’espace public, et ce d’autant plus du fait de leur caractère initialement provisoire : les plots de chantiers ou les signalisations jaunes ont permis aux automobilistes d’être alerté sur des modifications de voirie et ainsi d’être attentifs à ces changements.  

En dehors des « coronapistes », certaines expérimentations ont aussi été adoptées sur la durée : c’est le cas à Reims, où plusieurs rues du centre-ville sont de nouveau interdites aux voitures le weekend, pour l’été 2021, ou encore à Paris, où la municipalité a annoncé que le dispositif de terrasses éphémères des bars et restaurants sur des places de stationnement sera renouvelé chaque été.

Pérennisation des expérimentations : quelles adaptations envisager pour s’inscrire dans la durée ?

L’engouement pour ces expérimentations, portées par un contexte propice, interroge sur les procédures rigoureuses et parfois contraignantes de mise en œuvre de projets. Si la réglementation et les règles de concertation imposent un rythme plus lent mais nécessaire pour réaliser des projets d’infrastructure impactant la vie des usagers des espaces publics, est-il possible/souhaitable de mettre en œuvre de tels process d’expérimentation hors contexte d’urgence sanitaire et si oui dans quelles latitudes ? De même ces expérimentations peuvent-elles devenir une nouvelle manière de faire la ville ?  

Les atouts de ces expérimentations sont nombreux, notamment le fait qu’elles permettent une concertation in situ et une adaptation facile aux besoins observés selon les retours de l’ « expérience utilisateur ».  

Toutefois, la souplesse de ces aménagements temporaires ne doit pas amener à négliger les bonnes pratiques de projet, la concertation et l’accompagnement nécessaires. Alors que dans le cas des aménagements précités, l’un des principaux enjeux est le conflit d’usage, de lisibilité et d’acceptabilité pour les autres modes (pour les automobilistes dans le cas des axes cyclables, mais aussi des piétons ou des riverains pour les terrasses éphémères par exemple), une importante communication est primordiale pour que les usagers se repèrent dans l’espace public au gré des expérimentations – le succès des « coronapistes » tient en grande partie de la communication très importante dont elles ont fait l’objet, permettant aux cyclistes d’en connaitre l’existence et de les utiliser, et aux automobilistes d’y prêter attention. 

Dans le cas des transports publics, et quand bien même la reprise de fréquentation semble claire, les acteurs du secteur ont d’ores et déjà engagé des réflexions visant à adapter le service aux nouvelles habitudes et à faire face à toute nouvelle crise. C’est notamment le cas d’une information voyageurs renforcée, celle-ci pouvant à l’avenir potentiellement renseigner sur les niveaux de charge des véhicules grâce aux data floating (temps réel/prédictif), du conseil sur les meilleurs heures de déplacements, voire vers de la réservation de place garantie dans certains types de véhicules. La question du contrôle des flux est tout aussi importante, notamment lorsque l’on considère les stations et pôles d’échange, avec des réflexions qui pourraient s’engager grâce aux outils de simulation de flux. En matière d’exploitation de l’offre de transport comme de questions tarifaires (gratuité partielle, abonnements pour les télétravailleurs,…), les opérateurs sont désormais convaincus de la nécessité de faire preuve de grande souplesse, la période qui s’engage pouvant ainsi faire émerger des restructurations répondant à cet enjeu d’adaptabilité face à la demande comme de nouvelles pratiques de consommation de la mobilité (émergence d’une part modale dite d’opportunité, notamment dans les espaces urbains disposant d’offres variées – à nuancer en milieu rural où il sera nécessaire de renforcer la diversification servicielle). 

Le mot de la fin

Si la crise sanitaire a mis en exergue de profondes interrogations sur nos sociétés et en particulier sur nos habitudes de mobilité, elle a également permis aux acteurs de faire preuve d’agilité pour faire face aux bouleversements de pratique en adaptant rapidement l’espace public et les services associés.

Dès lors, et quand bien même le retour d’expérience est peut-être encore un peu trop bref pour en tirer des conclusions définitives, comme le montre la reprise (partielle) du trafic et dans les transports publics, les expérimentations qui ont été déployées ont souvent rencontré du succès et démontrent que la place de la voiture en ville notamment est sans doute à reconsidérer de manière plus durable.

Néanmoins, afin d’engager une mutation du partage de l’espace public pour les différents modes de transport à la fois pérenne et acceptée de tous, il conviendra de regarder en détails les approches ayant permis ou non de fédérer sur les territoires.

A suivre dans le prochain billet de blog, un retour d’expérience sur la LOM et la prise de compétence mobilité.

Pour aller plus loin
Rédacteurs et contributeurs

Marie-Gabriel LAGREE

Consultante junior

Rémi MONPEURT

Consultant sénior

Patrice PERROGON

Directeur

Catégories : Blog